Apprivoiser la complexité de l’orthographe française en classe

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Vos élèves sont désemparé·e·s face à la complexité de l’orthographe française ? Vous-mêmes, vous sentez en difficulté pour expliquer certaines étrangetés orthographiques du français ? Explorons ensemble ces questions et réfléchissons à des solutions concrètes et accessibles pour faciliter l’apprentissage de l’orthographe.

(Re)découvrez les 5 principes de l’orthographe et expérimentez nos conseils pratiques dans vos classes, avec les enfants, comme les adultes, qui apprennent le français.

Pourquoi cette complexité de l’orthographe française ?

L’orthographe d’une langue, doit-elle être si complexe ?…

Non, toute orthographe n’est pas complexe par défaut. Ainsi, le finnois, l’espagnol, l’italien, le serbo-croate et le turc ont, par exemple, une orthographe très transparente. C’est-à-dire, un son correspond pratiquement toujours à une lettre et une lettre correspond à un son. Très pratique comme système. Une fois que l’on a appris à écrire, on sait noter tout ce que l’on sait prononcer. On peut aussi tout de suite orthographier n’importe quel mot que l’on a rencontré pour la première fois.

Il y a d’autres langues où ce n’est pas aussi systématique, mais reste très simple. L’allemand, le hongrois, l’islandais, le néerlandais, le polonais, le russe, le tchèque et le slovaque ont des systèmes orthographiques assez stables et cohérents : les correspondances entre ce que l’on entend et ce que l’on écrit sont assez régulières.

Malheureusement en français, comme aussi en anglais, norvégien, danois et suédois, l’orthographe est très éloignée de la prononciation réelle : il y a beaucoup d’irrégularités, d’homophones, de lettres muettes.

D’où vient une telle complexité ?

C’est Nina Catach, Docteure ès lettres en linguistique, historienne de la langue et spécialiste de l’orthographe française qui était la première à en systématiser les raisons. Si seulement l’orthographe française, à l’instar de l’orthographe italienne, turc ou encore finnoise notait systématiquement un son par une lettre qui pourrait être lu d’une seule manière…

Or, ce n’est qu’un principe parmi d’autres de l’orthographe française, le principe phonétique. Grâce à ce principe, on sait globalement quelle lettre correspond à quel son et quel son peut être noté par quelle lettre : un t se prononce souvent [t], (encore faut-il qu’il se prononce et qu’il ne se prononce pas [s] comme dans action ou réduction).

La grande difficulté de l’orthographe française est que ce n’est pas le seul principe, il y en a encore 4 autres (!) qui entrent constamment en conflit.

Organigramme avec, au sommet, "Orthographe française" et, au niveau inférieur, les 5 principes : phonétique, étymologique, grammatical, lexical et esthétique-visuel

La complexité de l’orthographe française provient du fait qu’elle prend régulièrement en compte 5 principes concurrents qui ne sont pas hiérarchisés de manière claire : on ne peut pas savoir à l’avance lequel est à privilégier dans tel ou tel cas.

Le principe étymologique prend en compte l’origine historique des mots. Par exemple, on écrit sans prononcer la lettre p dans le mot temps, parce que ce mot vient du mot latin tempus. Ce principe n’est pas absolu comme ne l’est aucun des 5 principes de l’orthographe française. Ainsi, dans le mot fantaisie on n’écrit pas ph malgré sa provenance du mot grec phantasia « imagination ».

Le principe grammatical explique une partie des manières d’écrire par la grammaire. Par contre, ce principe est ambigu déjà à lui tout seul même quand il n’entre pas en conflit avec d’autres principes. Quand on conjugue le verbe mettre, on prononce de la même manière ses trois premières formes. Ici, l’écriture nous aide (et nous oblige) à distinguer parfois les formes :

  • je mets
  • tu mets
  • il met

Des fois, on met la lettre s sans qu’elle se prononce pour autant. Le s marque également deux formes différentes sans les distinguer : je/tu mets.

Le principe lexical aide à distinguer les mots différents qui se prononcent de la même manière, les homophones :

  • mer / mère / maire
  • ver / vers / vert / verre
  • coup / coût / cou

Or, cette distinction s’opère uniquement à l’écrit ce qui rend difficile la mémorisation de tels cas.

Enfin, certains mots ont sauvegardé leur forme actuelle pour des raisons visuelles esthétiques au détriment des autres principes. Selon Nina Catach, le principe esthétique et visuel est respecté pour préserver une silhouette graphique familière, à éviter les formes trop simplifiées (!!) ou visuellement pauvres (!!), et à maintenir une certaine tradition typographique. C’est le cas des mots doigt, femme, beaucoup, oiseau.

Fiches de résumé

Illustration textuelle. Principe grammatical : distingue (parfois !) les formes qui se prononcent de la même manière: je mets, tu mets, il met

Pour aller plus loin : cf. bibliographie en fin d’article

Conséquences discriminatoires de cet état des choses

Mais ne pensez surtout pas que tous les linguistes savourent et soutiennent cette complexité. Nina Catach, la grande référence du domaine, « a toujours défendu une conception profondément humaniste de la langue, refusant que l’orthographe soit un sujet de discrimination et d’échec scolaire et souhaitant que la langue reste accessible à tous » (Wikipédia).

Aujourd’hui, sur Internet, les personnes sont systématiquement jugées et souvent aussi insultées à cause des erreurs d’orthographe dans leurs commentaires. Ceci, par contre, n’a rien de nouveau puisqu’en 1694 déjà, dans les cahiers préparatoires du tout premier dictionnaire de l’Académie française, institution culturelle française qui établit les normes de la langue française, il est explicitement noté : « L’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes ».

La question est habilement abordée dans un TEDx de deux profs de français belges où avec toute la précision linguistique ils s’interrogent sur ce qu’est réellement la richesse linguistique par rapport à l’orthographe.

Chez Motifs, nous partageons une vision profondément humaniste de la langue. Nous refusons que l’orthographe soit un facteur d’exclusion ou d’échec. Il est possible d’apprendre autrement — avec des outils accessibles, des approches ludiques, et surtout, avec bienveillance.

C’est pourquoi nous proposons des ressources concrètes pour accompagner tous les enfants et adultes, quels que soient leurs parcours, leurs difficultés ou leurs langues d’origine. L’orthographe ne devrait jamais être un obstacle : elle peut devenir un terrain d’exploration, de jeu et de réussite partagée.

Pourquoi pas simplifier l’orthographe française ?

La question parait tout à fait légitime. Or, en pratique c’est beaucoup plus compliqué à réaliser que ce que l’on ne pense. La langue écrite, plus stable par sa nature que la langue orale, assure une certaine cohésion entre les générations. Grâce à la langue écrite, la langue orale change dans certaines limites communes et les générations continuent à se comprendre (quand elles le veulent).

Passer du jour au lendemain à l’écriture phonétique (un son = toujours une seule et la même lettre et une lettre = toujours un seul et le même son) serait pratique et même économiquement intéressant. En effet, un tel système univoque réduirait sensiblement nos efforts lors de l’apprentissage de la lecture-écriture et de l’orthographe et diminuerait le nombre d’échecs scolaires. En plus, cela réduirait sensiblement le volume des textes imprimés (avec des immenses économies financières de l’encre et du papier quand on passe à l’échelle) et des textes numériques (avec une immense réduction de volume de données quand on passe à l’échelle).

Par contre, si l’on imaginait ce passage, on devrait probablement prévoir une période de transition pendant laquelle les deux systèmes cohabiteraient. Dans ce cas, on va se retrouver avec deux systèmes parallèles très différents. En pratique, chaque texte imprimé devrait être dédoublé en deux variantes orthographiques. La question se pose aussi pour toutes les archives dans des domaines différents qui seraient inutilisables à bout de quelques générations ou nécessiteraient un dispositif les rendant accessible. Les avantages économiques d’un tel passage ne seraient donc pas atteignables immédiatement.

Des pages manuscrites
Comment rendre les archives accessibles ?

Au niveau des personnes, cela risquerait de créer des ruptures déstabilisantes pour les couches fragiles de la société. Un enfant qui apprend la lecture-écriture depuis, par exemple, 3 ans à l’école, doit-il continuer ou doit-il réapprendre ? Autrement dit, 3 années passées à l’école, c’est peu ou beaucoup ? Les personnes âgées ne devraient probablement pas être confrontées au nouveau système. Mais alors, à partir de quel âge ou de quel état de santé ? Et les autres personnes adultes, qu’est-ce que l’on attend d’elles ? Et les personnes avec des difficultés ou des troubles d’apprentissage (dyslexie, TDAH, etc.) ?

Ce n’est que quelques questions difficiles, éthiquement comme économiquement, auxquelles il faudrait trouver des réponses pratiques si on imaginait un tel passage. En attendant, la langue française a vécu la réforme d’orthographe qui a eu pour but la simplification. Elle a touché quelques points spécifiques et a eu comme résultat, selon certains, l’appauvrissement de la richesse langagière et, selon d’autres, une amélioration cosmétique seulement. Il faut avouer, en tout cas, que globalement l’orthographe française reste tout aussi complexe après cette réforme.

Comment faciliter l’apprentissage de l’orthographe française en classe ?

La maitrise du français écrit débloque la réussite scolaire et professionnelle de vos apprenant.e.s. Des bases solides en orthographe renforcent leur confiance en eux et leur permettent de progresser sereinement dans leurs apprentissages.

Boostez votre expertise : intégrez à votre pratique des outils concrets et efficaces pour faciliter l’apprentissage de l’orthographe en classe.

Ne laissons plus aucun élève échouer à cause de la complexité de l’orthographe française ! Testez dès maintenant les 4 astuces en classe et observez les changements, tant au niveau des résultats de vos élèves que de la dynamique de groupe.

Astuce 1 : Responsabilité individuelle vs effort collectif

Pour éviter le sentiment de honte trop souvent attaché à une faute d’orthographe, proposez à vos élèves des défis collectifs. Par exemple, avant que vous corrigiez leurs dictées, mettez-les ensemble par petits groupes de 3 personnes et demandez-leur de relire ensemble leurs textes et de trouver toutes les erreurs. Vous pouvez procéder en plusieurs étapes :

  • le groupe corrige ensemble chaque texte ;
  • le groupe reçoit le texte correct (si c’est une dictée) et compare leurs productions à cet original ;
  • vous corrigez seulement après.

Vous pouvez aussi mettre une note par groupe pour mieux impliquer chaque participant.e.

Déplacer la focale sur un effort collectif à la place de responsabiliser vos élèves individuellement, permet aux élèves de percevoir l’orthographe comme un défi et non pas comme un prétexte d’être jugé.

Astuce 2 : Mettre en lumière les régularités

A l’école, les listes de vocabulaire sont souvent formées autour d’un sujet ce qui fait souvent regrouper des mots qui ont une logique orthographique différente. Les prépositions « en, dans, avant, sans, devant » vont forcément se confondre, parce que leur signification et leur prononciation sont proches, mais elles s’écrivent différemment.

Pour faciliter la mémorisation, groupez les mots qui se comportent de la même manière du point de vue orthographique :

  • oiseau
  • chapeau
  • marteau
  • couteau

et leurs pluriels qui se forment de la même manière :

  • oiseaux
  • chapeaux
  • marteaux
  • couteaux

Certes, vous avez rarement ces mots dans le même texte d’où l’intérêt de l’astuce 3.

Astuce 3 : Favoriser l’écriture créative.

Être créatif·ve n’est pas facile quand la consigne est trop large. Si elle vous demande d’écrire un petit texte original, vous allez prendre beaucoup de temps à trouver le sujet et le message que vous voulez faire passer…

Resserrez la consigne. Il est plus facile d’être créatif quand le cadre est plus strict. Par exemple, proposez d’écrire un conte en 10 phrases où le personnage utilise ces 4 éléments (oiseau, chapeau, marteau, couteau) pour résoudre son problème. La moitié de la classe les utilise au singulier et l’autre moitié — au pluriel.

Après une correction en sous-groupe (astuce 1), partagez les histoires obtenues et laissez-vous étonner par la créativité de vos élèves !

Astuce 4 : Ludifier les dictées

Il existe beaucoup de manières pour varier la forme des dictées. Mais surtout, vous n’êtes pas obligé·e de noter chaque dictée. Celle-ci peut juste être le prétexte pour apprendre. Faites des dictées visuelles – en montrant le mot sur la CLEF passe-partout des graphèmes (Carte Linguistique des Eléments du Français), en l’écrivant ensuite ou pas. Cela peut devenir votre routine de classe qui ramène au calme à la fin de la journée ou, au contraire, qui ouvre la journée en augmentant la concentration.

Index pointé sur la CLEF des graphèmes et plus particulièrement sur les lettres "ch"
Une apprenante pointe le graphème « ch » sur l’affiche des graphèmes du français

L’orthographe française est complexe, mais on réussira à faire avec !

Malheureusement, notre orthographe est une des plus complexes et tout le monde en souffre : les personnes qui ont des difficultés et des troubles d’apprentissage (dyslexie, TDAH, TSA, etc.), mais aussi tous les enfants qui apprennent à appliquer les règles d’orthographe et les adultes qui sont automatiquement jugés pour chaque petite erreur d’orthographe. Or, ce n’est pas demain que cet état de choses va changer. Aujourd’hui, à l’ère rapide qui a de la peine à ralentir, avec l’utilisation des supports numériques et de l’IA, nos langues normées changent très lentement. Chaque petit changement significatif rencontre beaucoup de réticences et d’appréhensions.

L’orthographe française ne va probablement jamais devenir plus simple. Et même si cela arrive un jour, c’est aujourd’hui que nous l’utilisons et c’est aujourd’hui que nos élèves et enfants l’apprennent.

Passez à l’action durant vos cours

Essayez dès aujourd’hui les astuces de cet article dans votre classe et observez ce qui change :

  • Quels impacts remarquez-vous sur les apprentissages et les résultats de vos élèves ?
  • Quelles évolutions dans la dynamique de groupe ?
  • Comment vous sentez-vous avec ces approches ?

Nous serions enchantés d’écouter vos retours sur le terrain : comment cet article a modifié ou non vos cours, si la CLEF des graphèmes vous a été utile ou si vous souhaiteriez plus d’informations dans un nouvel article, les newsletters 🌈 Prismes et 💠 Kaléidoscope ou encore dans nos formations pour les enseignant·e·s de français.

De votre côté, quelles sont vos propres astuces pour rendre l’orthographe française plus accessible pour vos élèves malgré sa complexité ? Écrivez-nous ou venez en discuter en direct lors de nos guichets.

Recevez par email des idées d’activités prêtes à l’emploi pour votre classe, ainsi que des partages d’expériences de vos collègues.

Mettons en commun nos efforts et nos expertises pour faciliter concrètement l’apprentissage de l’orthographe.

Bibliographie

Catach, N. (1980). L’orthographe française : traité théorique et pratique avec des travaux d’application et leurs corrigés. Nathan.

Catach, N. (1989). Les Délires de l’orthographe : en forme de dictioNaire. Plon.

TEDx Talks. (2019, 21 juin). La faute de l’orthographe | Arnaud Hoedt Jérôme Piron | TEDxRennes [Video]. Youtube.